NEUILLY église Saint-Pierre - 01 juin 2007

Inauguration le 1er juin 2007 du Grand Orgue de l'église Saint-Pierre à Neuilly-sur-Seine

Compte-rendu initialement posté sur le forum Organographia et que je souhaite partager avec le plus grand nombre tant le travail accompli par la Manufacture Daniel KERN est digne d'éloges.

Impressions et photographies sont les bienvenus.

Neuilly-sur-Seine, église Saint-Pierre
Inauguration le 1er juin 2007 à 19h30 par Philippe SAUVAGE.
Restauration 2005-06 par la Manufacture d'orgues Daniel KERN (F-Strasbourg)

Tout d'abord, un peu d'histoire : sitôt l'église achevée (1897), on s'adresse à Aristide CAVAILLE-COLL (ACC) pour la construction d'un grand orgue (go) disposé au dessus du portail. Les travaux commencent dès 1898 mais le facteur meurt entre temps (1899), l'orgue est achevé par Charles MUTIN et inauguré le 29 octobre 1900 par Henri LETOCART et Eugène GIGOUT.

Tout au long de son histoire, on aura la volonté d'avoir ce qui se fait de mieux : le meilleur facteur, les meilleurs organistes, le meilleur effet possible. Ce sera le moteur de l'évolution de cet instrument.

Quelques mots de l'édifice : élevé de 1887 à 1897, il est de style « néo », voûte sur croisée d'ogive, décoration plutôt romane, nef à sept travées avec bas-côtés, tribune de pierre, transept saillant, choeur avec déambulatoire et chapelles, le tout formant un monument assez vaste (réverbération église pleine env. 4 s.)

Selon les inventaires, la plaquette d'inauguration et de nombreuses personnes, l'orgue de par sa position sur une tribune trop haute, ne donne pas satisfaction. En 1923 Jean Huré déclarait : « A Saint-Sulpice, à Saint-Pierre de Neuilly, les orgues, l'un monumental, l'autre assez considérable, sont placés si haut qu'on les entend mal : elles ne font pas d'effet; on les croirait trop faible. Cependant l'orgue de Saint-Sulpice possède cent jeux admirables, de Neuilly plus de cinquante ... On pourrait citer par centaines des exemples semblables de l'incapacité et de la mauvaise volonté des architectes. »

Pierre Dumoulin dans les inventaires : « (l'acoustique) est l'un des points les plus délicats de cet orgue, placé trop haut, derrière un arc doubleau et selon une implantation en longueur qui amène le Récit à sonner pratiquement dans le clocher. Cette disposition a été critiquée dès l'époque de la construction et il est maintenant pratiquement impossible d'y remédier. »

Me voilà prévenu !

L'église est archi-comble, séparée en deux, au niveau de la chaire, devant : tous ceux qui ont un carton d'invitation, les autres derrière.
Ma voisine me parle, avec passion, de sa visite de l'instrument lors des Journées du Patrimoine, juste avant le démontage. Elle l'a entendu pendant les travaux d'harmonisation et me fait comprendre que « c'est le jour et la nuit ».
J'aurai le droit aussi à un « tout ce que la ville compte de mélomanes est réuni ici » ... wao !

Ecran géant dans la nef et deux autres dans les bas-côtés diffusent en boucle des photos de l'intérieur du buffet et des travaux en atelier.
Un photographe s'active alors que chacun vaque « à ses occupations » sans trop y prêter attention, arrêt intenpestif devant l'objectif ou bousculade en passant ... (on se croirait à la foire) !

L'arrivée de M. le Maire à 19h30 sonne le début de la cérémonie avec une allocution du père Nicolas Brouwet qui rappelle (insiste et dresse un catalogue sur) les rôles dévolus à l'orgue dans la religion catholique (curieusement, la bénédiction n'aura lieu que dimanche, c'est un peu choquant).

Je ne suis pas physionomiste mais il me semble que c'est Gilles Cantagrel qui assure la présentation de l'orgue et du récital.

C'est le moment tant attendu avec les premières notes qui font entendre successivement le fond d'orgue, flûtes et cornets, mixtures, les anches, trompettes et anches de détails, l'ondulant et le tutti.

Autant l'avouer de suite, je n'ai jamais entendu cet orgue avant son démontage et ne vous parlerai que du présent.

Philippe Sauvage improvise sur le fond d'orgue des trois plans sonores, d'abord en alternance, puis groupés deux à deux.
Le résultat, déjà très prometteur, permet d'apprécier le moelleux des montres Cavaillé-Coll dont l'harmonie ascendante évolue du sombre vers la lumière à mesure que les mains parcourent le clavier vers l'aigu (pressions différentiées entre Basses et Dessus tant au go qu'au positif, pression unique au récit).

A mon arrivée, en observant le buffet, j'avais remarqué les bouches hautes de la montre 16'. La tuyauterie a des tailles adaptées qui ne paraissent pas, pour autant, énormes.

Ces toutes premières notes suffisent à elles seules à m'enthousiasmer, j'attends maintenant la suite avec impatience.

Pendant tout le temps du récital, une caméra montrera le jeu de l'organiste, ses mains et ses pieds sur la console dont les claviers sont ordonnés de bas en haut : go, pos, récit.

Sur un plan technique on a go en avant parallèle à la façade, positif au même niveau en arrière, récit expressif au fond perpendiculaire à la façade. La pédale se trouve de part et d'autre du go : grande pédale à gauche au sol (basses), petite pédale à droite au niveau du go (dessus).

Ce qui est remarquable, c'est que les aménagements de Daniel KERN ont abouti à un orgue qui sonne (enfin) : par ex. le récit expressif, qui se trouve sous le clocher, possède une grande dynamique et, boîte ouverte, fait presque jeu égal (un peu en dessous quand même) avec le go malgré la distance et sa position particulière (« la salle sous le clocher est très profonde ») et ouvre des possibilités nouvelles grace à la richesse de sa composition (« il y a de belles choses au récit »).

Convention : je mets entre guillemets les propos recueillis lors de discussions avant et après le concert.

Les flûtes harmoniques au go (restituées) et au récit sont limpides, celles du positif plus « baroques » (non harmoniques) dans l'esprit MUTIN début XX°, chaleureuses (cet instrument est le jumeau de l'orgue de la salle de concert de Moscou dans lequel MUTIN avait introduit une flûte conique).

Mention spéciale pour les cornets : il y en a trois, tous différents, celui du go est ma-gni-fique ! Couleur, définition, portée, puissance, tout y est avec une tonalité très CLICQUOT ! Splendide ! Au récit, second cornet composé (MUTIN), celui-ci sonne en cornet d'écho avec moins de présence (ce qui parait normal) et couleur un peu plus sombre. Au positif c'est un cornet décomposé dont la couleur est plus « nordique ».
Si l'on reprend cela avec la palette du peintre : le go est flamboyant rouge vif, orangé, le récit rouge foncé, carmin-marron, le positif jaune vif, or ! Et l'ensemble donne un joli « plein-jeu de tierces » lumineux.

Les mixtures représentent ici l'élément nouveau à plusieurs titres : nouveau parce que c'est une évolution du style CAVAILLE « 3^ème manière » avec le retour aux plein-jeux classiques dès 1885-90 à la demande des musiciens désireux de jouer Bach, ce sont aussi les couleurs apportées par l'époque néoclassique lors des restaurations de 1932 et 1960 dans la continuité de cette évolution. Nouvelles car ces jeux sont en partie neufs, recomposés pour s'assortir avec les fonds Mutin-ACC.
Ainsi, au lieu de revenir en arrière, a-t-on voulu encore améliorer l'instrument sans pour autant figer l'orgue dans une composition 1900.

« A Neuilly on cherche toujours à avoir ce qui se fait de mieux. »

Chaque plan sonore possède ses mixtures avec toujours le même étagement, la même nuance dans l'intensité de chaque plan.
Le go hérite d'une progression harmonique V-VIII (en place de fourniture V et cymbale IV) qui constitue la base d'un plenum bien charpenté. **
Les fourniture et cymbale du positif ont été conservées mais recomposées pour avoir un élément plus classique sans résultante de 16' (réservée au go), le récit conserve son plein-jeu Mutin d'origine en 8'.

** Oups, je me suis fait écharpper pour avoir écrit cela ... en réalité, suite à une coquille dans la plaquette de présentation et à l'intervention de Jean-Jacques GUENEGO, l'ingénieur de la Manufacture Kern, il s'avere qu'en fait de progression harmonique, il s'agit bel et bien d'un plein-jeu V-VIII, donc d'une mixture et non d'un jeu de mutation. J'avais donc bien entendu   !

Les anches en batterie sont également étagées en force et différentiées en couleur à l'égal des cornets. Batterie du go « royale », au positif, une trompette (un temps transformée en basson) reconstituée et qui sonne avec beaucoup de finesse et de légèreté (Silbermann ? Don Bédos ? Ou ACC 1ere manière ?), au récit, une batterie d'anches harmoniques brillantes quoique plus sombres qu'au go (anches plus fermées).

A la pédale, je n'avais pas réalisé sur le coup, et me disait que le bourdon 32' avec la bombarde était somme toute très convainquants et aptes à remplacer un 32'... mais le 32' d'anche existe bel et bien sous la forme d'un basson qui remplace le 16' et ajoute un plus bien dans la logique de Neuilly (toujours plus, toujours mieux !)
Ceci dit cette anche colore le tutti mais ne l'écrase pas, là aussi c'est une évolution qui répond, et s'oppose, à la tendance actuelle des contrebombardes apocalyptiques qui grondent à ce point, qu'on ne s'en sert que dans les (très) grandes occasions.

Oh, j'allais oublier les chamades : c'est vrai qu'elles ne passent pas inaperçues ! A mon arrivée je les avais repérées bien campées au niveau de l'entablement inférieur, braquées vers la nef comme une multitude de canons, alignés, prêt à faire feu. J'avoue avoir été impressionné par la position abaissée de ces tuyaux en me disant « le pauvre organiste, il va en prendre plein les oreilles ».

Bon soyons clair : ce sont des anches de tutti (comme à Notre-Dame de Paris ou à La Madeleine), pas question de les utiliser en dehors, car sans doute ont-elles été copiées sur des modèles ACC, en tout cas, elles sont puissantes.

Les anches de détails ont pour noms cromorne, clarinette, basson, basson-hautbois, voix-humaine et sont toutes fort réussies.
Tout d'abord la clarinette a réintégré le récit où elle est extraordinaire de poésie et sa sonorité, selon la manière de la jouer, est velouté ou caverneuse à souhait, « à l'imitation » dirait Bernard AUBERTIN !
Un vrai cromorne neuf remplace la clarinette réhabilitée. Il est conçu dans un esprit classique, « cruche » un peu et fait entendre un jeu dont la douceur l'apparente à un compromis entre le jeu fin XVIII° (la clarinette Isnard ?), peut-être le basson-clarinette de Dallery ? À moins que ce ne soit la douçaine, lointain ancêtre de la clarinette ? Ou peut-être un peu tout cela successivement en fonction des registrations et de la façon de le jouer.

La mécanique Barker paraît redoutablement précise. On peut imaginer que ACC n'en est pas resté à la machine Barker de ses débuts à Saint-Denis et a eu tout loisirs de la faire évoluer jusque dans cet ultime instrument. Côté répétition, rien à envier aux tractions électro ou numériques.

Le tutti ! Arrivé à ce point, on peut dire que la restauration de l'instrument est une réussite totale et que le facteur a parfaitement rempli sa mission qui était « que cela fonctionne le mieux possible ! »

Alors quand on tire tout, que l'église est pleine à craquer, non seulement ça remplit, mais « Daniel Kern a réussi à contenir ce tutti dans les limites du raisonnable » i.e. juste avant que vos tympans ne commencent à vibrer. Même avec les chamades ce qui est une fois de plus remarquable, surtout si l'on considère les propos de Pierre Dumoulin : « Cette disposition a été critiquée dès l'époque de la construction et il est maintenant pratiquement impossible d'y remédier ».

Bien-entendu lors d'une inauguration, on n'est pas dans des conditions normales d'écoute, là on sort tous les jeux, on se fait plaisirs en jouant sur des ensembles et en laissant les détails de côté. Néanmoins le récital qui suivit mit en valeur certains jeux solistes telle la voix céleste, en jouant sur la dynamique de la boîte expressive, la viole de gambe du récit, très mordante dans le grave. On constate que les jeux gambés sont présents à tous les claviers ... et que le violoncelle du go est partiellement en montre.

Je trouve l'instrument très équilibré dans son ensemble. Le positif est peut-être le clavier le plus « faible ».
S'il y avait quelque chose à redire, ce serait pour les chamades. En effet je trouve le tutti suffisant et les chamades superflues. Au surplus celles-ci me paraissent d'une taille plus que généreuse (énorme !) sans doute par crainte de ne pas parvenir à remplir l'église ... ceci dit, le pavillon est évasée à son extrémité (retournée à l'espagnole**) ce qui a pour effet de renforcer la sonorité et vu d'en bas donne l'impression d'un jeu énorme (qui ne l'est peut-être pas tant !)

** EDIT : depuis l'inauguration j'ai eu l'occasion de monter à la tribune et de voir ces chamades de près ... et les pavillons sont dépourvus de colerette c'est le photographe qui ...

Aux pieds des tuyaux, on aperçoit la table flottante des soufflets du go. Lorsqu'on se trouve à la tribune, on la voit osciller lorsque l'organiste plaque un accord sur le tutti.

Alors évidemment pour arriver à ce résultat époustouflant, « une vraie métamorphose », certains éléments ont dû être déplacés, tels : les tuyaux de bois entassés derrière la façade ont été postés ailleurs, le cornet go posté entre mixtures et anches (clichés des inventaires) se trouve maintenant derrière la montre, reconstitués le violoncelle go dont les basses se trouvent dans la façade, le plein-jeu du go, regoupées au récit les anches de détails augmentées d'une voix humaine copiée sur ACC (merveilleuse avec son tremblant réglable ?), ajoutée une batterie 8' 4' au positif, un 32' à la pédale, des chamades utilisables partout (y compris en second 8') grace à une traction numérique par capteur optique sur les vergettes en entrée de la machine Barker, étanchées toutes les fuites (ça change tout), construit un buffet clos là où « le buffet n'était qu'une façade sans plafond », amélioré la boîte du récit « avec des jalousies sur les côtés ». La console est conservée avec l'intégration réussie du combinateur par boutons poussoirs discrêts sous le premier clavier et cuillères au-dessus du pédalier (avec des étiquettes ACC) beaucoup plus authentiques voire esthétiques que les champignons.

Je pense que Jean-Jacques GUENEGO pourra compléter mieux que moi (avec des photos ?).

Des deux ACC restauré en 2006, Neuilly est une réussite totale et indiscutable et comme le rappelait M. le Maire « ce n'est pas pour rien que la municipalité de Dresde a choisi KERN pour la reconstruction de l'orgue de la Frauenkirche (auquel j'ai envie d'ajouter Osaka et Saint-Pothin de Lyon, quel dommage que KERN n'ait pas été retenu à Lausanne) !

Pour être complet, je dois saluer la prestation du titulaire Philippe Sauvage qui après son récital (qui reprenait seul le programme d'inauguration de 1900 joué à l'époque par plusieurs organistes) a improvisé sur deux thèmes proposés (au dernier moment) par Gilles Cantagrel (le Veni Creator et un thème populaire).
Il s'en suivit une improvisation comme j'en ai rarement entendu, un feu d'artifice musical qui je l'espère sera reprise dans le dvd à paraître.

Et en bis, le titulaire nous a offert la Toccata et fugue en ré mineur ... et ma voisine (une adorable mamie) d'agiter mains et pieds en fredonnant cette mélodie si populaire !

Bien-entendu, le facteur Daniel KERN a été ovationné et M. le Maire « d'inviter » l'assistance à se rendre au cocktail, réservé aux possesseurs d'un carton d'invitation ...

(enfin ... euh, bon, en négociant ... petits fours salés/sucrés, champagne à volonté et tout le gratin de Neuilly en prime)

Voila, j'espère vous avoir donné l'envie de venir écouter cet instrument d'exception qui devrait faire l'objet d'une mise en valeur avec de nombreux concerts en prévision.

Dixième anniversaire de la restauration de l'orgue
par la Manufacture d'orgues Daniel KERN

L"association des Amis de l'orgue a invité l'organiste de Notre Dame de Paris, Olivier LATRY pour fêter l'événement ce dimanche 12 novembre.